JEAN LE BRIS

1817 — 1872

Un pionnier malmené

Pendant longtemps, depuis le livre d’Yves Peslin de 1944, on a pensé avoir fait le tour de la question à propos des travaux Le Bris. Un autre ouvrage, de Gaston Decoop en 1969, avait bien ajouté quelques éléments au débat mais reprenait l’essentiel des conclusions d’Yves Peslin.

Et pourtant …

la découverte récente de documents inédits a tout remis en question de manière évidente.
Les témoignages des neveux et amis de Le Bris encore vivants en 1944 nous parvenaient enfin après un demi siècle d’oubli.

Confronté à ces pièces authentiques, recueillies par un huissier (Marcel Blériot, fils du pionnier de l’aviation) n’importe quel historien doit revoir sa copie, notamment sur les questions des date et lieu du vol réussi de Le Bris.

C’est ce qu’a fait Michel Mazéas, ancien maire et ancien professeur d’histoire de lycée de Douarnenez, connu en Bretagne pour ses travaux sur Le Bris. C’est également ce que j’ai fait, bien que cela remettait en question une partie de mes publications précédentes.

Pourtant, à grand renfort médiatique, d’autres ont commémoré en 2006, sur le plage de Sainte-Anne-la-Palud, un anniversaire qui ne repose sur aucun témoignage ni aucune source primaire, sinon qu’il leur parait « logique » que ce vol ait eu lieu avant le dépot du brevet d’invention (mars 1857).

Leur argument fort est la pauvreté supposée de Le Bris, qui selon eux n’aurait pas pris sinon le risque de payer les sommes demandées pour un tel dépot. Le problème est que Le Bris n’était pas pauvre en 1857 ! Il était capitaine-armateur, c’est à dire un propriétaire. Il a d’ailleurs fait en 1858 l’acquisition d’un nouveau bateau, le « Véloce », plus performant que le précédent. Comme son père avant lui, il appartenait à la bourgeoisie locale. Il était un notable !

Retenir la date de 1856 était une erreur d’Yves Peslin en 1944. Les témoignages lui sont parvenus trop tard et il manquait de moyens d’investigations. La conserver aujourd’hui, c’est ne faire aucun cas de pièces essentielles et déjà publiées (Le Fana de l’aviaton 2004, Armen 2005).

Quant à ceux qui depuis peu situent une « seconde tentative » le 23 avril 1857, sont dans le même état d’égarements qui les a fait écrire précédemment « 6 décembre 1856 ». A quand l’heure et la météo en fonction de l’horaire des marées ? … halte au feu ! cela devient ridicule ! Le Bris n’en a pas besoin.

Ils s’appuient pour avancer cette date sur la lettre d’Auguste Chancerelle écrite à Douarnenez le 22 avril 1857 (publiée pour la première fois par Michel Mazéas en 2001). Le jeune homme dit qu’il assistera le lendemain au « départ » de Le Bris. Affirmer que cette date du 23 avril correspondrait à l’échec de Tréboul décrite par La Landelle dans son roman ne repose sur rien ! Le jeune Chancerelle ne dit pas depuis quel point Le Bris doit tenter de s’élancer. Or, nous savons par ses neveux et amis qu’il a fait ses premiers essais au port du Rosmeur (Douarnenez) !

De plus, on notera que ce sont les mêmes qui refusent de croire La Landelle lorsqu’il parle d’expériences d’envols depuis la hauteur de Sainte-Anne, mais le croient sur parole lorsqu’il parle d’un échec à Tréboul , et surtout acceptent sans broncher son conte du cocher volant, bien que lui-même ait écrit par ailleurs qu’il s’agissait d’un pur roman. Etonnant non !

Date du premier vol de Jean Le Bris d’après les sources primaires

La date du vol réussi de Le Bris est imprécise dans les témoignages parce que les essais et expériences de Le Bris se sont visiblement étalées sur plusieurs années.

On remarquera qu’aucune source primaire ne permet d’affirmer qu’il ait volé en 1856, mais plutôt à une date située entre 1858 (présence du navire « Véloce » et du témoin Moufflet à Douarnenez) et 1861 (témoignage de Melle Donnard, née justement en 1856).

On peut également affirmer que ce vol ne s’est certainement pas passé en décembre (affirmé pour la première fois sans preuve par Gaston Decoop en 1968. Peslin en 1944 disait « à la fin de l’année »). La seule mention de saison figure dans Les Grandes Amours (1878) et dit « peu avant la Saint-Michel  » (soit le 29 septembre).

Source : Auguste Chancerelle

Type d'essais : A construit un appareil

Chronologie : Avril 1857

Source : " Le Petit-journal " (Hérald, Le Bris lui-même)

Type d'essais : Essais, tâtonnements successifs

Chronologie : "Un jour"

Source : " Phare de la Loire " (Le Bris lui-même)

Type d'essais : "Premières expériences"

Chronologie : Il y a 10 ans" (1857)

Source : " L'Electeur du Finistère " (Landelle).

Type d'essais :

Chronologie : Possède le "Véloce" (1858-63)

Source : " Grandes amours " (Landelle)

Type d'essais : Premier essai

Chronologie : "Véloce" (1858-63), témoin Moufflet (1858-63), "avant la Saint-Michel" (29 septembre)

Source : " L'Illustration "

Type d'essais :

Chronologie : Témoin Moufflet (1858-66)

Source : Demont-Breton

Type d'essais : plusieurs expériences

Chronologie : Les premières expériences en 1856

Source : Melle Donnard

Type d'essais :

Chronologie : "J'avais quatre ans" (1860-61)

Source : Michel Le Bris

Type d'essais : "Nombreuses fois"

Chronologie : Possède le "Véloce" (1858-63)

Localisation des esais de Le Bris d’après les sources primaires

Source : Le Petit-journal (Hérald, Le Bris lui-même)

Lieu cité :

Configuration du site : " Essais successifs "

Source : Grandes amours (Landelle)

Lieu cité : Tréfeuntec

Configuration du site : Route en pente vers la plage

Source : Grandes amours (Landelle)

Lieu cité :

Configuration du site : Falaise

Source : "L'Illustration" (fils d'un témoin)

Lieu cité : Lieue de grève (Pentrez)

Configuration du site : Falaise

Source : "L'Illustration" (fils d'un témoin)

Lieu cité :

Configuration du site : Falaise

Source : "Fureteur breton" (selon témoin et Landelle)

Lieu cité : Ile Tristan, Tréfeuntec

Configuration du site : Sommets de falaises, grève

Source : Demont-Breton (à Tréboul en 1870)

Lieu cité : Pointe de Tréfeuntec

Configuration du site : Falaise

Source : Demont-Breton (à Tréboul en 1870)

Lieu cité : Douarnenez- Moulin de Tréboul

Configuration du site : Falaise (" plusieurs essais ")

Source : Eugène Urvois (fils d'un matelot de Le Bris)

Lieu cité : Douarnenez-Rosmeur

Configuration du site : Port du Rosmeur (" premiers essais ")

Source : Théophile Le Bris (neveu)

Lieu cité : Près de Tréfeuntec

Configuration du site : "Pique vers la plage"

Source : Michel Le Bris (neveu)

Lieu cité : Tréfeuntec-Sainte Anne

Configuration du site : Colline, près de la route

Source : Théophile Le Bris (neveu)

Lieu cité : Douarnenez-Rosmeur

Configuration du site : Port (" des essais ")

Source : Eugène Urvois (neveu)

Lieu cité : Telgruc, Menez-Hom

Configuration du site : Montagne, pente

Source : Michel Le Bris (neveu)

Lieu cité : Douarnenez-Véloce

Configuration du site : Baie et port ("nombreuses fois ")

Source : Melle Donnard (Témoin direct)

Lieu cité : Tréfeuntec

Configuration du site : " très souvent "

Source : Jacques Le Stum (mémoire familiale)

Lieu cité : Tréfeuntec-Sainte-Anne (Camezen)

Configuration du site : Colline ou route, "il est allé vers la plage"

Le terrain des essais de Le Bris, localisé par son neveu Michel en 1943:
« près de la montagne de Sainte-Anne (…)
à 600 m à l’ouest de la chapelle et à 500 m au nord de la petite route descendant à la plage ».

Je dis bien « Jean » et non pas Jean-Marie » Le Bris

Contrairement à ce qui est régulièrement écrit, ce pionnier finistérien se faisait appeler de son seul premier prénom, comme l’ont confirmé plusieurs documents administratifs (dont son brevet d’invention), ou de son surnom « John », comme l’a rapporté sa fille à Yves Peslin, lors de ses recherches entre 1934.

Le prénom « Jean-Marie » apparait dans un roman de La Landelle Les Grandes amours (1878). Ce texte a été utilisé par le pionnier franco-américain Octave Chanute dans son livre Progress in flying machines (Chicago, 1894) et surtout par Yves Peslin (1944) et Gaston Decoop (1968), dont les livres ont ensuite été utilisés par tous ceux qui depuis ont écrit sur ce pionnier, d’où l’erreur !

Précisons aussi que le nom doit être prononcé « Le Brize » (c’est ainsi dans le Finistère) et non pas « Le Bri », comme le font certains à tord !

Le vrai visage du pionnier

Le seul protrait certain de Jean Lebris
Le seul portrait absolument certain dont nous disposions est un mauvais cliché que portait sa fille Julie en médaillon et qu’elle confia à Yves Peslin.
Le fusain de Henri Schneider 1965. (Coll Peslin).
En 1965, Yves Peslin en fit faire un fusain par Henri Schneider, modeste artiste amateur brestois, dont le travail est régulièrement reproduit sans qu’on cite toujours son nom, et parfois même avec une source fausse (l’original n’est pas au Musée de l’air). Ce fusain a été publié pour la première fois dans Les Cahiers de l’Iroise. Schneider ne disposait alors que de la photographie confiée par Julie Le Bris à Peslin en 1943. Ce n’est donc pas une source primaire !
Jean-le-bris
Un autre portrait a été retrouvé plus récemment au revers de certaines épreuves des fameux clichés de l’Albatros, pris à Brest en 1868, par le photographe Pépin. Tout porte à croire qu’il s’agit de Le Bris, bien que son nom ne soit jamais mentionné. A première vue, ce visage peut sembler différent de celui du médaillon (plus haut), mais en réalité, c’est surtout la coiffure et l’absence de rouflaquettes qui donnent cette impression (nous ne sommes plus sous la mode « Monarchie de juillet », mais « Second Empire »). Le menton, la moustache, jusqu’à la cravate, semblent les mêmes. L’homme du second cliché est aussi sans doute plus âgé. Bien entendu un doute subsiste !

Les autres photos intitulées  » Jean-Marie Le Bris jeune marin  » et  » Jean-Marie Le Bris en 1870  » publiées en 1969 par Gaston Decoop dans son livre Jean-Marie Le Bris – précurseur méconnu de l’aviation, ne montrent pas le pionnier. Ces documents sont extraits du Fonds Fouminet du Musée de l’air et de l’Espace (Le Bourget) et sont situés en même page qu’un cliché de l’appareil construit par Le Bris en 1867-1868, ce qui a probablement induit Decoop en erreur. Il suffit de les retourner pour lire au revers du premier « Souvenir du siège de Paris 1870-1871, Janvier 1871, A. Carlto. Marin aéronaute du siège, gare d’Orléans  » et du second  » Photo Antonin, Bd Sébastopol, Paris « . Rien à voir avec Le Bris qui n’a jamais mis les pieds dans Paris assiégé à cette époque.

Nous savons, en outre, que Le Bris avait les yeux clairs (bleus ou gris) et les cheveux châtains, mais qu’assez tôt il les a eu gris, qu’il avait « la barbe en favoris », très à la mode chez les bourgeois au milieu du XIXème siècle, mais sa taille reste imprécise puisque selon les notes il mesurait 1,64 m ou 1,67 m.

L’enquête et ses sources

La Landelle a mené une première enquête en 1876, soit quatre ans après la mort de Le Bris. Il a bien recueilli quelques témoignages mais ne précise presque jamais ses sources. Il faut donc le manier avec grande précaution. Ses trouvailles ont été publiées dans Les Grandes amours (roman de 1878), mais surtout de manière plus sérieuse dans le journal L’Electeur du Finistère (1876).

Brevet Jean Le Bris 1857Nous avons aussi un brevet d’invention déposé par Le Bris en 1857 et conservé à l’INPI à Paris. Ce document, connu des pionniers de l’aviation depuis le XIXe siècle (il a servi à Dieuaide dès 1880), a été publié pour la première fois en fac simile en 1943 par l’historien de l’aviation Georges Houard dans sa revue Propos d’aviation alors qu’il préparait l’édition du livre d’Yves Peslin Jean-Marie Le Bris, marin breton, précurseur de l’aviation pour l’année suivante.

Il a été repris régulièrement depuis dans des ouvrages consacrés aux pionniers de l’aviation.

Nous disposons aussi de quatre clichés photographiques de l’engin construit à Brest en 1867-1868 par Le Bris.

Albatros de Jean LE BRISC’est Yves Peslin, encore une fois, qui le premier s’est aperçu qu’il y avait quatre et non pas un seul document. Il en a fait la démonstration en 1986 dans le journal finistérien Le Courrier du Léon, en collaboration avec son ami Jean Le Goualch pour les illustrations.

Mais surtout, et c’est une chance, outre les articles de presse de 1868 et quelques archives sur la carrière de marin du pionnier, Yves Peslin et Marcel Blériot (fils du pionnier Louis Blériot) ont recueilli en 1943 les témoignages des dernières personnes ayant connu Le Bris.

Ces documents inédits m’ont été confiés par Mme Peslin. Ils ont servi de base à un article paru dans le Fana de l’aviation (2004) qui remet en question beaucoup de ce qu’on croyait savoir de Le Bris. Les apports les plus importants concernent le lieu de son envol historique et sa date. Aucun témoignage ne parle jamais de la plage de Sainte-Anne, mais toujours de la colline, et on apprend que l’envol n’a pu avoir lieu avant 1860 (ce qui n’interdit pas des essais plus ou moins réussis bien avant cette date, évidemment).

 

Sainte-Anne la Palud

Colline où les témoignages situent les essais de Le Bris. Le champ d'essais est visible à gauche.

Julie Le Bris

Le 1er octobre 1943 à Laval, Benard Goachet (15 ans, de Brest) recueille le témoignage de Julie Le Bris, fille du pionnier. (Photo Gilbert Goachet)

Après le livre d’Yves Peslin, récompensé d’un prix de l’Académie de Marine et du prix Lange de l’Académie française, Le Bris a surtout gagné en notorité grâce au livre et à l’action de Gaston Decoop, auteur Jean-Marie Le Bris – précurseur méconnu de l’aviation (Paris, 1969), qui plus sans doute que le livre de Peslin l’a fait connaître hors de Bretagne. Cet ouvrage, illustré par Marcel Jeanjean, bénéficiait, il est vrai, du soutien des Vieilles-tiges et du Club du Souvenir de la Ferté-alais. C’est aussi à Gaston Decoop qu’on doit l’actuelle stèle de Trefeuntec (Plonévez-Porzay).

Le Bris doit aussi beaucoup à Michel Mazéas, ancien maire de Douarnenez, pilote d’aéroclub et professeur de lycée. Auteur d’un article dans la revue Armen en 1986 sur les pionniers bretons de l’aviation, il a été à l’initiative de donner le nom du pionnier au lycée de sa ville et, en relations avec le vice-président François Le Cossec, d’ajouter ce nom en 2002 à celui de l’aéroclub de Quimper devenu Aéro-club de Quimper – Jean Marie Le Bris.

Peslin, Decoop et Mazéas ont également consacré de nombreuses conférences à ce pionnier.

La Landelle (1878), Verne (1886), Chanute (1894), Dolfuss et Bouché (1930), Peslin (1944), Petit (1968), Decoop (1969), Mazéas (1986) … Il ne faut pas confondre méconnu et inconnu … comme le font malheureusement certains dans le but évident de s’attribuer les mérites d’autruits.

Le lycée de Douarnenez porte le nom de « Jean Marie Le Bris », ainsi que des rues de Brest, de Concarneau et de Plonévez-Porzay.

Bibliographie

Le Roy (Thierry) Jean Le Bris – ses recherches n’étaient pas du folklore dans Le Fana de l’aviation n°415 et 416, juin-juillet 2004.

Le Roy (Thierry) Les pionniers de l’aviation – des origines à la Première Guerre mondiale dans Armen, n°149, novembre-décembre 2005.

Peslin (Charles-Yves) Jean-Marie Le Bris – marin breton, précurseur de l’aviation Ed. Les Ailes, Paris, 1944.

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